Little Steven’s Blues School
A la découverte de Notodden
Notodden est un immense festival de Blues qui existe depuis 1988, après que la ville ait été frappée de plein fouet par la crise de la métallurgie, sa principale ressource. De nombreuses œuvres d’art rappellent ce passé industriel. À l’origine, 13 passionnés de Blues ont décidé de créer ce festival, investissant de leur temps et de leur argent pour la première édition qui fut un succès, jamais démenti depuis. En 1990, c’est Jostein Forsberg, musicien et ancien métallo (ouvrier de la métallurgie), né et élevé à Notodden, qui dirige le festival qui devient une ressource financière essentielle pour la ville.

Notodden et son festival sont liés à tel point qu’un magnifique bâtiment, la Bok & Blueshuset (Maison du livre et du Blues) a été construit sur les bords du lac Heddalsvatnet, on y trouve la bibliothèque de la ville, mais aussi une collection de disques dédiés au Blues, une librairie, un bar, un studio d’enregistrement (Juke Joint Studio), une salle de concert, et des studios de répétition. C’est aussi le lieu d’accueil d’une partie de la Little Steven’s Blues School, un stage de Blues dédié aux jeunes musiciens.
La Little Steven’s Blues School
Si la Little Steven’s Blues School porte ce nom, qui est celui du guitariste du E-Street Band de Bruce Springsteen, c’est que ce dernier, après une visite du stage en 2015, a voulu participer à la cause… Après de nombreuses visites aux stagiaires, il a accepté que le Blues Camp porte son nom, améliorant ainsi sa notoriété internationale. Il a aussi permis la création d’un deuxième parcours réservé aux plus âgés. La Little Steven’s Blues School a reçu cette année à Memphis un Keeping the Blues Alive Award, une récompense de la Blues Foundation pour celles et ceux qui défendent cette musique à travers le monde.
La Little Steven’s Blues School existe depuis 1989, soit un an après la création du festival, révélant ainsi à quel point la transmission fait partie de l’ADN du Notodden Blues Festival. Elle permet à de jeunes musiciens, de 13 à 26 ans, et venus de tous les horizons, de se faire les dents. Les jeunes sont séparés en deux groupes, le premier rassemblant les musiciens en herbe de 13 à 18 ans et le second ceux de 19 à 26 ans.
Le Blues Camp 2 (19-26 ans)
Partageant l’hébergement avec les plus âgés, je suis témoin de l’engagement de toutes et tous et de la qualité de l’encadrement. Assistant à la présentation du programme, après deux ou trois morceaux joués par les enseignants devant les élèves ; force m’est de constater que j’aurais adoré participer dans mes jeunes années, désormais lointaines.
Le programme proposé aux plus âgés : semaine de répétition d’une liste de 10 morceaux ou d’autres morceaux choisis par les étudiants, composition de chansons originales, enregistrement au Juke Joint Studio, des Masterclass avec John Primer, Bob Corritore et leurs musiciens, plusieurs concerts durant le festival, des jams et un pass pour assister aux concerts… Une certaine idée du paradis musical !

Pour l’heure, les jeunes musiciens venus de Norvège, des États-Unis, mais aussi de Finlande, d’Islande, du Portugal, de Croatie et de France prennent leurs marques. Mais ils sont déjà convaincus de vivre une expérience fantastique qui les marquera dans leur parcours personnel, que celui-ci soit musical ou non… Parmi ces élèves 4 ont été accompagnés par l’EBU (European Blues Union) : Paavo Huttunen, de Finlande, Eduardo Vicente, du Portugal, Filip Paulo de Slovaquie et Sören Foucher, de France, accompagné également par France Blues.
Les stagiaires sont encadrés par une équipe qui est aux petits soins, menée par Espen Fjelle, pour la partie pédagogique et, pour l’accueil et la logistique, par Kjersti Kamperhaug, la “Camp Mama” qui s’assure que personne ne manque de rien, et que les apprentis bluesmen et blueswomen puissent vivre cette semaine dans les meilleures conditions possibles.
L’originalité de ce Blues Camp est que les jeunes participants ne sont pas regroupés par instrument, mais bien par groupe (batterie, chant, guitare, basse, clavier, etc.). L’essentiel de leur semaine de stage consiste donc à jouer ensemble les morceaux proposés, ou à en composer d’autres, pour les présenter sur scène lors du festival. Et c’est de l’intensif : de 9h à 23h pour les plus jeunes (Bluescamp 1) et de 10h à 22h pour les autres (Blues Camp 2) !
En plus des répétitions, chez les plus grands, les groupes ainsi formés se voient proposer une session d’enregistrement au Juke Joint Studio, dans les mêmes locaux, deux étages plus bas, chaque groupe, à tour de rôle, apprend ce que c’est qu’enregistrer dans des conditions professionnelles. Ici, la maîtresse des lieux, c’est Elisabeth Moen Pettersen, qui forte d’une belle expérience (elle a travaillé avec Mike Zito, entre autres !), enregistre et enseigne les rudiments des techniques de studio aux stagiaires.

Le Juke Joint Studio est un lieu magique, Seasick Steve y a enregistré, et une grande partie de son matériel provient des studios Stax à Memphis. Ce qui est étonnant, c’est que malgré l’âge relativement récent du studio (créé en 2001), on ressent une atmosphère “Roots” : l’esprit du Blues souffle sur ces lieux ! Nul doute que pour une première expérience de studio, il y a bien pire !
Toute cette attention est mise au service de jeunes particulièrement motivés et, même si les niveaux peuvent être différents, l’émulation entraîne tout le monde ! La musique n’est pas une compétition, et, après les avoir vu jouer ensemble, ça se confirme ! En revanche, chacun et chacune donnent le meilleur, et ça s’entend.
Passage chez les plus jeunes (Blues Camp 1)
Après avoir passé du temps avec les plus grands, où l’ambiance est au perfectionnement et à l’ouverture vers la professionnalisation, direction le Blues Camp 1, dans une école de musique un peu en dehors de la ville, où je suis accueilli par le responsable du séminaire, Audun Haukvik. Un homme passionné et passionnant, à l’image de toutes celles et ceux que j’ai croisé jusque-là.
Ici, le but est différent du Blues Camp 2 : il s’agit d’enseigner également un savoir être en plus d’un savoir faire. Comme pour les aînés tout porte sur le jeu en groupe, l’équipe de 8 enseignants rassemble des personnes qui ont à cœur de transmettre avec, et il n’est pas exagéré d’utiliser ce mot ici, bienveillance.
Pour Audun, le Blues Camp est ce qu’il y a de plus important dans le festival, car cela représente le futur et la transmission. Et la bienveillance n’exclut pas la rigueur, d’ailleurs, il en faut pour gérer une quarantaine d’adolescents !

Les élèves sont répartis en différents groupes, avec, en plus, un groupe de cuivres, trois pour être précis, qui ont pour tâche d’accompagner les autres groupes. Les différences d’âge font que les niveaux sont hétérogènes, mais là n’est pas l’essentiel. Dans ce Blues Camp 1, chaque élève apprend le jeu en groupe et la nécessité de s’écouter. Les instructeurs, un par groupe, sont là pour les y aider, et, même s’ils ont des personnalités différentes, ils sont tous guidés par la passion de transmettre.
C’est un vrai bonheur de passer de salle en salle et d’assister aux répétitions, et de voir ces ados et jeunes adultes prendre autant de plaisir. Et n’allez pas croire pour autant que les morceaux proposés sont faciles, c’est un vrai exploit que de réussir à jouer “Still got the Blues” de Gary Moore en une semaine, que ce soit à cet âge ou plus vieux. Le Blues Camp 1 est aussi exigeant que le Blues Camp 2.
Pour finir, j’ai pu assister à une répétition d’élèves avancés qui vont ouvrir le festival, avec une reprise de “I’d rather go blind” d’Etta James, et j’ai pu mesurer ce niveau d’exigence mais aussi le plaisir que prennent les jeunes à jouer. Audun et sa bande leur donnent les clés pour jouer sur scène : comment se placer, comment bouger, regarder…
Et, si les plus jeunes ont eux aussi assisté à la masterclass de John Primer et Bob Corritore, ils ont également eu droit à celle de Harrell “Young Rell” Davenport, une jeune étoile montante du Blues de 18 ans, ce qui a donné lieu à de beaux échanges avec un grand musicien en devenir de leur génération.
Le temps des concerts
La sélection des jeunes stagiaires participe à l’ouverture du festival le jeudi soir, partageant la scène avec, entre autres, John Primer et Bob Corritore. Une magnifique prestation sous l’œil ému de leurs professeurs devant plusieurs milliers de spectateurs.
La veille au soir, sur la scène de la Maison du Blues, leurs aînés ont eux aussi proposé des prestations exceptionnelles, avec des “imposés”, des reprises de grands classiques, comme “Stormy Monday”, mais aussi des compositions de leurs crus. Le talent est présent à n’en pas douter ! Mention spéciale pour les improvisations de Pavo Huttuden, le jeune Finlandais au saxophone, et Otto Junior, une jeune guitariste de 19 ans qui représente sans aucun doute l’avenir du Blues en Norvège. Ces deux-là se sont bien trouvés.

Les groupes éphémères des stagiaires se produiront deux fois durant le festival : une fois le jeudi soir au Bellmann Kulturpub, où ils ont rencontré un succès amplement mérité dans un pub plein à craquer remplit d’aficionados, puis le lendemain sur la scène jeune du festival située à l’entrée du Hovis Hangar, la scène principale, faisant, là encore, un carton plein.
Jeudi matin, nous avons aussi eu la chance d’entendre le résultat des sessions d’enregistrement au Juke Joint Studio, la qualité des morceaux allait de paire avec celle du travail réalisé par Elisabeth Moen Pettersen. Un résultat proprement bluffant, d’ailleurs les sourires des stagiaires en disaient long sur leurs sentiments…
Le samedi, ce sont les juniors qui se sont produits sur la scène “jeunes” devant un public fourni, et ils y ont rencontré le même succès que leurs aînés. Les prestations des plus jeunes, d’une grande qualité, démontrent, outre le talent des interprètes, celui également des leurs professeurs qui ont su tirer le meilleur de ces jeunes pousses. Le final, sous une pluie battante, rassemblant tout le monde était éminemment symbolique “With a little help from my friends”, version Joe Cocker, fut un moment particulièrement émouvant tant on pouvait sentir le plaisir et le bonheur que ces musiciens en herbe ont pu partager durant cette semaine de stage.
Que dire pour conclure ? Que les stagiaires ont vécu une semaine fabuleuse au sein de la Little Steven Blues School. Qu’il s’agit d’une expérience exceptionnelle pour chacun d’entre eux : ils sont pris en main pour donner le meilleur d’eux-mêmes. Que ce soit avec Audun Haukvik et son équipe de professeurs animés d’une passion débordante pour les plus jeunes, ou avec Espen Fjelle et sa magnifique équipe de bénévoles pour les plus âgés, on sent un projet, une continuité entre les deux camps qui peut guider les plus motivés vers la professionnalisation. C’est une formidable démarche. Mais l’essentiel est ailleurs : les jeunes discutent, échangent, partagent autour d’un amour pour une musique commune, se faisant découvrir des artistes ; certains sont déjà de vieux briscards, y compris chez les 13-18 ans, d’autres sont plus hésitants. Pour un amoureux du Blues tel que moi, soucieux de la transmission, ce fut un véritable bonheur que de vivre cette semaine.
Texte & photos par Christian Foucher



































